Peter Klasen est
un peintre de l'urbanité bétonnée et métallique, un artiste de la froide objectivité
de nos villes inhumaines, un photographe au regard réaliste dont l'objet est de
témoigner dune réalité ordinaire, inscrite dans un temps présent où les
techniques, les machines, les technologies, les industries règnent sur le monde humain de
manière totale et inflexible, comme dans un univers totalement mécanisé et dépourvu du
hasard.
C'est au début des années 80 que Peter Klasen arpente les sites industriels et
portuaires, où il découvre les zones industrielles en marge des villes. Ces lieux
exercent sur lui une véritable fascination qui le conduisent à visiter le monde, à la
recherche de ces lieux proches d'une certaine vision carcérale des zones urbaines.
Sa démarche est de démontrer comment la machine entre dans une relation toujours plus
proche et plus intime de l'homme, sans que celui-ci y prenne garde, pour progressivement
l'écraser de son gigantisme, de sa puissance, de son inéluctabilité.
" Les lieux en marge de nos villes, les souterrains, ferrailles, décharges,
gares de triage, les faces cachées de notre monde industriel exercent une étrange
fascination sur moi " , dit-il.
Sa peinture n'est pas faite pour plaire, mais davantage pour que les spectateurs voyeurs
que nous sommes aillent derrière l'image, non seulement voir, mais toucher la réalité.
" Loin de la "représentation" du réel, il choisit la
"présence" du réel lui-même : il met l'objet réel sur sa toile, comme ce
boîtier électrique, ce générateur, ce cadran, cette planche ou ces néons "
comme l'écrit Bernard Vasseur dans un ouvrage récent sur l'artiste ( Peter Klasen
: People in the city - Editions Art Inprogress).
Né à
Lübeck en Allemagne, le 18 Août 1935, Peter Klasen assiste terrorisé à l'âge de
sept ans, au bombardement et à la destruction de sa ville natale.. Il perdra son père,
et plusieurs membres de sa famille dans les combats de la seconde guerre mondiale. Tout
son parcours et son oeuvre témoigneront de cette violence guerrière de l'enfance, dont
il pressent encore sourdement au fond de lui même qu'elle est toujours présente dans la
réalité de notre vie d'aujourd'hui.
Son oncle auprès de qui il vit alors a été l'élève d'Otto Dix, le peintre
expressionniste, et son grand-père est un collectionneur d'art. Sensibilisé à l'univers
de le peinture, il s'intéresse aussi à la littérature et lit Dostoïevski, Kafka,
Thomas Mann.
Il est admis à l'Ecole des Beaux Arts de Berlin en 1955, où il a comme co-disciple
Baselitz dans l'atelier de Hann Trier. En 1959, il décide de partir pour Paris après
avoir reçu une bourse d'étude, afin de vivre en France dont son père lui avait tant
parlé plus jeune et appris la culture et la langue.
Il s'intéresse au cinéma et voit à la Cinémathèque de la Rue d'Ulm les films
allemands censurés par Hitler : Fritz Lang, Murnau, mais s'intéresse aussi à la
nouvelle vague française : Godard, Truffaut, Chabrol. C'est à partir de là, avec la
lectures des textes Dada et les travaux du Bauhaus, qu'il développe le concept d'e
travailler à partir de la photographie, et de l'intégrer dans ses recherches picturales.
A partir de 1961, il intègre dans ses toiles des images morcelées ou déchirées
de corps féminins, d'affiches publicitaires, mais aussi des images d'objets
découpés dans la presse.
Après l'art informel, tel qu'il qualifie l'abstraction, qui selon lui est allé au bout
de sa démarche, Peter Klasen devient le peintre du renouveau de l'image dans la peinture
Dès lors, avec des oeuvres parmi lesquelles par exemple " Nausée " en 1961,
" La conscience du Corps " en 1964, " Stripteaseuse " et "Zone
Interdite " en 1965 , il devient l'un des pionniers de la Figuration Narrative
et participe à de nombreuses exposition.
En 1971, une rétrospective intitulée "Ensembles et Accessoires" au Musée
d'Art Moderne de la Ville de Paris lui est consacrée, dans laquelle il présente des
oeuvres dans lesquelles des instruments chirurgicaux, des tuyaux, des néons et divers
objets font leur apparition, ainsi que cuvette de WC ou baignoire représentées en
grandeur nature.
Les années 1973 - 1980 orientent Peter Klasen vers des représentation en gros plans
d'objets isolés sur des fonds neutres : des grilles, des barrières, des portes, des
cadenas, qui pour lui représentent une vision de la maladie urbaine.
En 1981 un voyage à New York le conduit à prendre de multiples photos de graffitis, de
salissures, de coulures, d'objets rouillés, qui sont présentées dans une exposition
chez Adrien Maeght intitulée " Traces " en 1982, et l'amènent à s'intéresser
aux effets du temps et de l'éphémère, à la dégradation et à l'usure, qui
prennent alors une place importante dans son travail.
De 1986 à 1989, il entreprend une série de cent tableaux intitulée " Mur de Berlin
", qui s'achèvera avec le démantèlement du mur en Novembre 1989. Cette série le
conduit ensuite à s'intéresser à la représentation urbaine et à en dévoiler la face
cachée : les murs, les entresols, les parkings, le béton, les objets abandonnés
jusqu'à une exposition qu'il organise et intitule " Histoire de Lieux Ordinaires
" en 1989 chez Louis Carré & Cie.
Avec les années 2000, il renoue avec l'intégration des images du corps dans des toiles
de grandes dimensions et s'interroge avec les attentats terroristes du 11 septembre
2001sur la valeur qu'il reste de l'existence humaine en rapport avec la violence
grandissante de nos sociétés.
(LMDA) |