" L'oeuvre de Wassil Ivanov appartient, certes, au domaine de
l'art, et la science manuelle dont temoignent ces images, la virtuosite meme avec
laquelle il jette sur un fond noir ses formes blanches ou colorees, la certitude du
dessin et du dessein, ne permettent pas d'en douter. Cet art n'est pourtant qu'un moyen,
car il est au service d'une poesie, d'une pensee, d'une vision qui depassent le seul
accomplissement de l'esthetique, et revelent une profondeur singuliere, non
reductible a quelque autre, unique. Nous avons vu Wassil Ivanov devant sa feuille noire, se saisissant de la craie blanche. Le
maniement de celle-ci avait la rapidite stupefiante de l'eclair. Comme l'eclair
illumine soudainement la nuit et la strie de ses paraphes, nous permettant de decouvrir,
dans la duree d'un instant, le plus vaste paysage, la main de Wassil Ivanov revelait,
elle aussi, sur le fond noir, des signes et des formes, leurs contours et leurs
estompages. Nous nous trouvions en presence d'un de ces createurs qui sont, au propre et
au figure, des veilleurs de jour. Ne pas s'y tromper : cette dexterite ne resulte pas d'une aisance nee de l'habitude.
Elle obeit a des pulsions profondes, qu'elle exteriorise, manifeste. Ici, tout vient de
l'interieur, et l'interieur sait se faire obeir. Les images de Wassil Ivanov surgissent
du monde qu'il porte en lui. Elles sont la figuration d'un univers longuement porte,
longuement medite. Il s'agit pour l'artiste, dirait-on, de donner a l'image de sa
vision une propriete a la fois objective et non objective, entre le reel et l'irreel,
afin que soient toujours offerts entre les deux, un chemin, une voie de passage ou nous
engager. Ce monde, le voici donc. Nous y sommes. Nous ne pouvons plus etre autre part. Alors que
nous le regardons, nous le vivons, et notre vue devient vie. Faut-il penser, devant tels dessins, que nous sommes arrives sur une terre ou des
tressaillements bientot mus en seismes provoqurent ici l'erection de blocs, la
l'effondrement de structures? La taille des personnages, parfois presents, nous aide
a mesurer l'ampleur de l'evenement mysterieux, tant ils sont minuscules devant ces
pierres, entre ces rocs, dans ces gorges et ces canyons, sur ces terrasses imprevues.
Quel opera jouent-ils, ces acteurs, dans ce decor de crepuscules des dieux ?
Constatent-ils l'abolition de quelque Walhalla, par suite d'une faute contre les rites et
l'esprit ? Leurs gestes parfois indiquent la stupeur devant des simulacres de colonnes
brisees, devant des vestiges ou se dechiffrent les fantasmes d'anciens sanctuaires et
des formes petrifiees, comme erodees par le temps, se dressent en effigies des
puissances desertes. Ailleurs, ne serions-nous pas les temoins d'une gense ? De grandes formes souples se
levent, se lovent autour des vides qu'elles engendrent, se nouent, montent, claires ou
colorees, dans un mouvement perpetuel, ou monumentalement fixes sur l'espace. Si
souvent douees d'erotisme, dans l'acceptation premiere du mot, elles paraissent en
quete d'autres formes. Un mystere, le plus haut sans doute, se laisse apercevoir : le
desir de l'autre, le desir de s'unir a l'autre, l'espoir du couple, l'abolition des
distances et des contraires dans l'amour. En d'autres termes, la quete de l'unite, la
quete physique et metaphysique, inepuisee, inepuisable. Libre a chacun d'inventer... L'art est de rendre visible l'invisible que nous portons.
Toute connaissance des formes est, au vrai, une reconnaissance. Tel est le role
superieur d'un certain art, celui des visionnaires, d'un Blake par exemple, ou d'un
Monsu Desiderio, et celui d'un Wassil Ivanov. Rarement comme dans ses oeuvres plus grand
depayssement ne se revele un " repaysement", l'inexprimable s'y muant en
exprimable, et la source s'y confondant avec la nuit des origines et la clarte des
estuaires. "
Max-Pol FOUCHET
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