"Depuis de longues annees, pour nous annees de lumiere, nous travaillons
Alain-Christian et moi, ensemble ou separement, a l'ecart des modes et tendances du
moment. Nous etions, nous sommes constamment en "etat de creation", nous ne
voulions pas vivre forcement de notre oeuvre, mais vivre pour cette oeuvre, par choix.
Il a fallu de l'obstination dans ce choix pour garder en nous et partager cette exigence
haute dans laquelle nous vivons, mais nous y avons trouve tout au long de la vie, une
force, une independance, une liberte telles que notre etat de creation est reste
intact jusqu' a aujourd'hui...
J'ai souvent qualifie la peinture d'Alain-Christian de "cerebrale" sans que
ce qualificatif soit une limite, en effet, sans cesse ses tableaux nous questionnent avec
une certaine derision parfois, nous entrainent souvent vers le non-sens ou le
renversement du sens. L'irreel devient certain, present, vrai, le reel est tres loin,
distancie. Comme dans les tableaux des soldats ou l'evidence, le sujet n'est jamais la guerre.
Dans les tableaux d'amour ou de don, de l'etrangete du lien a l'autre, la, seule la
celebration de ce lien d'amour s'impose d'emblee avec limpidite et serenite. Dans
ces tableaux tout parait present mais loin aussi, dans un infini maitrise.
Tous les autres tableaux sont a la fois fragment, moment de l'histoire, pourtant chacun
forme un tout : les images d'annees en annees, se repondent, se completent, se
desarticulent quelquefois, de tableau en tableau, sans drame, comme un incessant
"questionnement figuratif", metaphysique d'ou nait peu peu une rare
unite. Devant plusieurs de ces tableaux, je pense a des moments de M.K., dans "Le
Proces" de Kafka, a qui ne serait fait aucun proces : regards de derision, de
distance, de surprise, de connivence aussi sur ce non-sens, dont toute angoisse me parait
exclue. Pour certains tableaux, on peut reellement parler de "mise en abime", mise
a distance de la violence, lorsque le "peintre" peint l'ombre d'un peintre,
peignant d'apres photo une "image" de guerre, qui devient etrangete,
etonnement d'un reel qui nous montre sans violence, la violence de l'histoire face
a la
force de la culture ( mais la, l'issue parait souvent incertaine ). Dans d'autres tableaux, le regard sur la beaute est souvent decale et seule apparait
une relativite pleine d'humour. Je crois aussi qu'il y a quelquefois, dans cet
"improbable" de certaines images, dans ce profond engagement, je le repete,
vers ce questionnement figuratif, une volonte un peu detachee, de desacralisation
sereine; mais, tout comme pour mes "poemes-vus", l'exigence de creation, de
liberte, d'independance est la meme.
Ainsi,si nous nous rejoignons profondement dans l'absolu de notre obstination
a creer
des images, des poemes, des mysteres et des secrets, le chemin pour y parvenir est
different. J'ai choisi par gout de "mettre en scene" mes propres textes, parfois un mot
seulement, qui, de ce fait, contient tous les "possibles" et devient charge de
sens a decrypter, dans une extreme symbolisation, dans ces sortes de petits theatres,
que j'appelle "poemes-vus". Comme j'ai toujours vecu en "etat de poesie", les mots ont toujours pour moi
le meme jaillissement. La meme singularite eclate dans chaque "poeme-vu"
lorsque je les mets en scene avec minutie, precision, et totale symbolisation assumee.
Cette theatralisation des mots est pour moi une des sources de mes poemes, nullement
independante des miroirs, velours, perles, dentelles, couleurs, objets detournes, qui
me permettent de donner vie a ces petites scenes de theatre, scenes de mots. Tous ces
elements font totalement partie du poeme, au meme titre que les mots. Si mon travail est long a realiser, en revanche, le poeme lui, nait toujours du
soulevement interieur, d'une reelle necessite de "creer" cela, de toute
urgence, et dans toutes ses exigences l".
Frantz.
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